English text
Laurent Dupont, Atelier 2007-2008, le film, (oct 2008) 01 07 06 02, 1h 23 min
Benjamin Installé, Pink panther studio visit, diaporama of 14 photographs, 2012
Peut-être étiez-vous au vernissage de l'exposition collective « Dailleurs, », accueillie par la Brasserie Atlas le 9 novembre ?
Le sous-titre de l'exposition initiée par Hugo Boutry et Rozafa Elshan était : « an exhibition about attitudes through photography ». Laurent Dupont y présentait une vidéo d'une heure et vingt-trois minutes. La vidéo consiste en des ronds de fumée qu'une bouche, hors champ, souffle à l'intérieur d'un atelier d'artiste. Le souffleur, le caméraman et l'artiste sont a priori la même personne. Il faut peut-être souligner le terme légèrement ridicule de caméraman. Bien que la vidéo présente les caractéristiques typiques d'une vidéo smartphone, l'année 2008 devrait nous rappeler au bon souvenir des petites caméras numériques. Ce type de caméra et les ronds de fumée situent certainement la vidéo dans une temporalité qui n'est pas celle de l'improvisation instantanée. En effet, chaque prise filmant les déplacements d'un rond de fumée (soufflé et filmé simultanément) suit une chronologie similaire. La séquence débute brusquement, en raison de la synchronicité de l'enregistrement et du souffle de fumée, et s'achève dans le calme de l'évaporation du rond de fumée. La différence entre ces deux vitesses rend peu convaincante l'idée selon laquelle le caméraman serait un branleur pratiquant calmement ces talents de fumeur sur le sofa défoncé d'un atelier. La nonchalance de la fumée est trompeuse et les quelques minutes passées devant la vidéo sont suffisantes pour infléchir toute impression de détente. Le souvenir d'un rond de fumée atterrissant sur une étagère nue et disparaissant à mon insu me rend visite de temps en temps.
C'est par un souvenir involontaire de ce type que la Panthère Rose, photographiée par Benjamin Installé, s'est extraite du passé. Je ne me souviens pas du diaporama en lui-même, vu il y a plus de dix ans lors d'une exposition post-jury à l'erg. Cependant, les principaux éléments ne sont pas difficile à rassembler : quelqu'un prend une série de photos (14) à l'intérieur d'un atelier d'artiste. Une petite silhouette découpée de la Panthère Rose est interposée entre la caméra et ce que l'on serait supposé voir dans l'atelier. Ici aussi il est logique de penser que la main tenant la Panthère Rose est celle du photographe et qu'elle est directement reliée au corps de l'artiste, occupant présumé de l'atelier.
L'apparition de la Panthère dans ce contexte est évidemment humoristique. De même que les ronds de fumée provoquent presque inévitablement un sourire. Mais il y a quelque chose d' étrange dans chacun des cas. Le silence, probablement. Dans mes souvenirs la Panthère Rose ne parle pas et communique surtout pas des gestes. Quelle gêne ce serait que de subir la visite d'atelier de pareil individu. En tirant sur ce même fil je pourrais imaginer que la production de ronds de fumée est un sabotage de la parole. Ou au moins le choix délibéré de produire une image avec sa bouche, plutôt qu'un son.
La trace manquante utilisée dans le titre de ce petit texte pourrait voir le paradoxe de son apparition justifié. Cette absence est le sujet d'une tentation récurrente : lui donner une forme. Il est surprenant que cette forme nécessite une grande attention et une somme de travail exagérée. Un travail le plus souvent fastidieux et peu spectaculaire. On pourrait penser à Bruce Nauman et son Mapping the Studio (Fat Chance John Cage I) qui s'est étalé sur six mois et a produit des heures de vidéo surveillant des chats, rien, des souris et des insectes nocturnes.
Des animaux, un personnage de dessin animé silencieux et des ronds de fumée qui se dissipent partagent une certaine discrétion. Quelque chose d'une magie décevante qui disparaît sans laisser de traces, si ce n'est une odeur et quelques crottes. Rien du miracle promis par les films sur « l'artiste au travail ». Dans le cas de Nauman, l'artiste est carrément endormi et personne ne manipule la caméra. Tandis que ce texte approche de sa destination finale (c'est-à-dire nulle part), la référence à John Cage dans le titre de Bruce Nauman devient plus signifiante et les premiers mots de sa Conférence sur rien reviennent en mémoire : « Je suis ici, et il n'y a rien à dire . »
En dépit du ton quasi autoritaire que la phrase a acquis au fil du temps (une autorité que l'on pourrait hélas retrouver imprimée sur des mugs vendus au gift shop d'un musée), la surprise face à sa réapparition demeure. Une surprise similaire se produit au sujet des travaux sur l'atelier. Il n'y a en effet pas grand chose à voir et, pour le montrer, on se résout volontiers à en confier la tâche au chemin indécis emprunté par un rond de fumée, à une souris pourchassée par des chats domestiques ou à l'enthousiasme silencieux de la Panthère Rose. Des médiateurs d'un nouveau genre qui, enfin, nous foutent la paix.