VIOLENCE VERSUS LOVE


JULES BALLON

31 MAI 2025 - 29 JUIN 2025
ETABLISSEMENT D’EN FACE




English text




Violence versus Love. La simplicité de la dichotomie surprend dans le contexte de l’art contemporain. Mais ici, elle semble différente. Elle est à la fois contraste et torsion. Ce n’est pas l’habituel opposition haine-amour – deux sentiments antagonistes – mais violence-amour : une action opposée à un sentiment. 

La violence peut naître de la colère ou du désespoir, mais elle porte en elle une intention, une volonté.  L’amour, quant à lui, est d’abord un ressenti. Pourtant, avec son verbe « aimer », il peut aussi devenir une décision, une attitude active. 

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La pièce est plongée dans une obscurité noire et rouge. En son centre, à hauteur des yeux, une pyramide inversée est suspendue, la pointe dirigée vers le sol. De taille moyenne, elle est écartelée entre les quatre coins supérieurs de la pièce, maintenue par des câbles tendus. 

De sa base, tournée vers le plafond, jaillit une barre ronde qui transperce, bien plus haut, une colombe noire, maigre et déplumée, les ailes écartées.

Sur la cheminée, un bocal rempli de liquide contient un cœur-organe et une fleur en plastique. Collé au couvercle avec un large ruban adhésif noir, un spot éclaire l’ensemble, ourlant chaque pétale d’un rouge écarlate. En se tournant vers la sortie, on aperçoit une autre porte, ornée de verres anciens, teintés de vert.

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La pyramide m’évoque un autre lieu d’art bruxellois : La Loge, avec son passé maçonnique. Elle me rappelle aussi l’Égypte, et Emmanuel Macron, bras levés en V dans la cour du Louvre. La pyramide comme sommet de civilisation, symbole intellectuel et politique. 

Mais cette pyramide, contrairement à la tradition maçonnique, est dépourvue d’œil omniscient. Inversée, elle devient opaque et fuyante. La fonctionnalité de son socle est abolie : elle flotte, suspendue dans les airs, maintenue par quatre forces qui l’empêchent de s’écraser.

Je suis tentée de projeter dans ces câbles en tension le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme- mais il me manque une quatrième force. On pourrait y glisser une force fourre-tout, dépendante des circonstances et des failles humaines.

La colombe empalée révèle le pouvoir de nuisance de cette pyramide inversée. Mais dans une exposition précédente de Jules Ballon, Rue Américaine, même à l’endroit, la pyramide portait déjà la mort - pour des souris blanches recroquevillées. 

On ne peut se soustraire à une autre symbolique, celle de la colombe, mais la taxidermie et sa couleur noir rend, bizarrement, l’oiseau décharné plus vivant, moins abstrait. Le contenu du bocal, avec son cœur en gélatine et sa fleur en plastique, n’a en revanche rien de vivant. Mais c’est sans doute voulu. Est-ce à cela que ressemble l’apathie ? 

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Dans le texte d’accompagnement, à l’auteur incertain, deux nouvelles dichotomies apparaissent : Fear vs. Love, tirée d’un dialogue du film Donnie Darko, et la classification de l’humanité en Charming vs. Tedious par Oscar Wilde, en rupture avec la traditionnelle opposition Good vs. Bad.

Ça part dans tous les sens — c’est plutôt drôle, surtout la référence aux charlatans : « (ab)using the dialectic as a novelty-sized sledgehammer capable of smashing all contradictions, obliterating all problems ». Mais l’auteur me perd quand il écrit que l’amour et la violence se ressemblent terriblement. Le mot féminicide me vient à l’esprit, ainsi que les arguments éculés du crime soi-disant passionnel.

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Pour Jules Ballon, citée dans le texte, « it is not a vision of love or violence or the two together, it is a vision of immanence – the irreducible and infinite becoming of violence, of love, of reality, of fantasy ». 

Je comprends ce renoncement à la transcendance, mais sans l’oeil omniscient je me sens seule dans l’obscurité et le sang. Un peu comme la colombe noire de la carte de l’expo. Une fleur rouge dans le bec et un oeil vide, incrédule.




Roshan Di Puppo