RESTRAINING ORDER

KJERSTI G.ANDVIG, JURGEN OTS, MICHAEL VAN DEN ABEELE, PIA POLESE, JEAN-SAMUEL N'SENGI

MANNEKEN PIS

BRUSSELS, JUNE THE 15th


English text








L'invitation indiquait « 13H SHARP ».

À 12h50, les touristes amassés devant le Manneken Pis furent surpris par une voix de mégaphone intimant un « restraining order ». L'ordre était immédiatement suivi d'une modeste procession composée de cinq personnes, la plupart en habits civils, transportant des matelas de plage gonflables bleus. Soucieux d'être ponctuel, le groupe se reporta vers une position plus favorable en attentant son heure. Un de ses membres buvait une bière. Toutes et tous saluaient connaissances et amitiés.

Enfin les voici qui de nouveau fendent la foule et installent les matelas gonflables à la verticale contre la grille protégeant/enfermant le Manneken Pis. Tous les matelas tombent dès les premières secondes et un homme ramasse l'un d'entre eux qu'il tente de faire tenir droit. La personne au mégaphone, vêtue d'une sorte de robe transparente laissant voir culotte et brassière noires, multiples tatouages, entreprend de lire un texte, juchée sur deux caisses à légumes, bleues et consignées. Le texte est essentiellement inaudible si ce n'est « restraining order » et « fucking (…) ». Il est lu depuis un ensemble de feuilles plastifiées jointes par des anneaux. Est-il réellement lu ? On en doute, tellement le fil se perd. Les feuilles visibles par le public se composent d'images de dentelles et d'hommes alignés, à moitié nus. Potentiellement sous des douches. Une fois le texte terminé, les pages sont tournées en silence sans qu'une fin déterminée ne semble avoir été choisie en amont. C'est le moment le plus bancal et le plus réussi.

Le rythme de l'exécution est chaotique, le sourire de l'ordonnatrice imprécis (malice?). Le plus surprenant est peut-être l'acceptation totale de la foule de touristes. Les téléphones braquent sans aucune hésitation leurs objectifs depuis le Manneken Pis vers l'oratrice restrictive. Étrange paradoxe. L'ordonnance achevée, chacun.e retourne avec le plus grand naturel vers le premier objet de sa curiosité: le Manneken Pis. Le tout a duré cinq minutes et un fait reste inexpliqué. Le restraining order s'adressait-il aux touristes, horde de pédophiles en puissance, ou au Manneken Pis lui-même, exhibitionniste prépubère ?

Étant arrivé très en avance, j'ai pu entendre les paroles qu'adressait un guide touristique au groupe hétéroclite dont il avait la charge. Il comparait la déception ressentie à la vue du Manneken Pis, eu égard à sa taille réduite, à celle surprenant les touristes voyant pour la première fois la Joconde. Au risque de mal interpréter ses paroles, peut-être faut-il reprendre cette formule suisse selon laquelle on peut-être déçu en bien.

Cette performance juridique, essentiellement inintelligible, était une déception jurassienne, tendance helvétique.



Cyriaque Villemaux