PLATTEAU, GROUPE THEATRAL
JOSEPH KUSENDILA
WIELS
JUNE 7 - AUGUST 11, 2024
English text
Dans la rue où j’habite, une communauté évangélique latino prêche ses messes dans un rez-de-chaussée pas plus grand qu'un night shop. L’espace a un sol carrelé et des murs blancs, un plafond avec des lampes au néon, et les gens sont assis en rangs sur des chaises pliantes grises. C’est du moins ce que j'aperçois furtivement par la porte d'entrée vitrée. Le reste de la devanture est occultée par un rideau blanc. Mais d’habitude, quand je passe devant, c’est un rideau métallique, - sur lequel est écrit: ÉGLISE LA LUMIÈRE DU MONDE -, qui clôt l’espace. Un autre jour, chacun des rideaux était relevé et l’espace à voir était vide, seule une table se tenait au fond (peut-être celle-ci était-elle utilisée pour l’autel) et au-dessus un écran de télé était fixé au mur. Un journal ou une émission de télévision passait sur l'écran et des commentaires défilaient en dessous sur une bannière rougeâtre et brillante. L’an dernier, pour une quelconque raison, j’ai retranscrit pour une maigre paye plusieurs dialogues entre une chercheuse et des prêtres. Son sujet portait sur les relations internes entre les différentes communautés religieuses de Bruxelles. Les évangéliques sont, selon certaines personnes interrogées, un groupe avec lequel il est difficile de tisser des liens. Ils insinuent cela comme une relation complexe : comme s'il y avait un mur invisible et impénétrable qui les maintenait à distance. Par ailleurs, certaines de ces petites églises évangéliques déménagent sans laisser savoir où elles sont parties. Ceci peut s'expliquer en partie par leur fonctionnement : intime, communautaire, généralement dans des espaces loués, donc soumis à des situations précaires, mais aussi à la méfiance laïque et xénophobe. En retour, elles se méfient elles aussi des non-affiliés. Elles se méfient de l'extérieur et restent discrètes, optant pour une apparence non ostentatoire.
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Lorsque l’on prend le grand ascenseur au WIELS pour monter au premier étage, les grandes portes coulissantes s'ouvrent sur une autre porte, double et fermée. C’est derrière cette porte que se déroulent habituellement les expositions. L'antichambre à laquelle nous somme restreint, où d'habitude se trouve le grand texte d'introduction, accueille désormais deux pièces : 100 000 et Le Complexe du peintre de Joseph Kusendila. Une vitrine en bois de Tikal (sapotillier) posée sur une planche cartonnée surélevée par deux tréteaux en métal noir et un petit banc d’assise en bois de Tikal (sapotillier) posée sur une planche cartonnée surélevée par deux tréteaux en métal noir et un petit banc d’assise en bois de chêne fini à la cire d’abeille, mais également avec de la peinture à l’huile, et renforcé d’équerres en acier. Ces détails sont énumérés sur une feuille A4, clouée derrière une plaque de verre du même format, qui se trouve directement à gauche de l'ascenseur et au-dessus du bouton d'appel. Sur cette liste est aussi référencée une troisième pièce : Verre Cathédrale, visible uniquement à l'extérieur du bâtiment, sur les fenêtres du premier étage qui contourne la façade Est, Sud et Ouest. Les vitres ont été recouvertes d’un film à effet miroir ce qui de loin, les distingue des vitres des autres étages du bâtiment, et de plus près accentue la texture des verres martelés. Dans le court couloir qui mène vers les escaliers, deux autres feuilles A4 sont présentées, également clouées derrière des plaques de verre. La première donne les dates pour voir le film de Joseph Kusendila : Groupe Theatral, à la CINEMATEK, l’autre montre deux photos de plans d'étages brouillées, ou plus exactement brûlées par un flash de lumière. Ces plans me semblent n’avoir ici aucune autre fonction que leur simple présence, mais sous une forme devenue inutilisable, informe, ce qui me fait penser à ce qu’a écrit Jacqueline Lichtenstein sur la couleur et la lumière, et que si tout objet était illuminé de la même façon, il y aurait une terrible confusion en toutes choses ; sans ombres, tout paraîtrait plat, même les corps les plus ronds. Ce qui me fait ensuite penser à ce que Godard disait dans Chambre 666 à propos de l’invisible qui est ce qu’on ne voit pas, tout comme l’incroyable, et que le cinéma, c’est montrer l’incroyable, et c’est ce qu'on ne voit pas. Une carte est censée montrer et confirmer une réalité établie, mais ici, la lumière éblouit pour faire disparaître ce contenu, pour l'effacer du champ. Sans ombre, la lumière ne peut que rendre invisible. Lorsque l’on prend le grand ascenseur au WIELS pour monter au premier étage, les grandes portes coulissantes s'ouvrent sur une autre porte, double et fermée. C’est derrière cette porte que se déroulent habituellement les expositions. L'antichambre à laquelle nous somme restreint, où d'habitude se trouve le grand texte d'introduction, accueille désormais deux pièces : 100 000 et Le Complexe du peintre de Joseph Kusendila. Une vitrine en bois de Tikal (sapotillier) posée sur une planche cartonnée surélevée par deux tréteaux en métal noir et un petit banc d’assise en bois de Tikal (sapotillier) posée sur une planche cartonnée surélevée par deux tréteaux en métal noir et un petit banc d’assise en bois de chêne fini à la cire d’abeille, mais également avec de la peinture à l’huile, et renforcé d’équerres en acier. Ces détails sont énumérés sur une feuille A4, clouée derrière une plaque de verre du même format, qui se trouve directement à gauche de l'ascenseur et au-dessus du bouton d'appel. Sur cette liste est aussi référencée une troisième pièce : Verre Cathédrale, visible uniquement à l'extérieur du bâtiment, sur les fenêtres du premier étage qui contourne la façade Est, Sud et Ouest. Les vitres ont été recouvertes d’un film à effet miroir ce qui de loin, les distingue des vitres des autres
étages du bâtiment, et de plus près accentue la texture des verres martelés. Dans le court couloir qui mène vers les escaliers, deux autres feuilles A4 sont présentées, également clouées derrière des plaques de verre. La première donne les dates pour voir le film de Joseph Kusendila : Groupe Theatral, à la CINEMATEK, l’autre montre deux photos de plans d'étages brouillées, ou plus exactement brûlées par un flash de lumière. Ces plans me semblent n’avoir ici aucune autre fonction que leur simple présence, mais sous une forme devenue inutilisable, informe, ce qui me fait penser à ce qu’a écrit Jacqueline Lichtenstein sur la couleur et la lumière, et que si tout objet était illuminé de la même façon, il y aurait une terrible confusion en toutes choses ; sans ombres, tout paraîtrait plat, même les corps les plus ronds. Ce qui me fait ensuite penser à ce que Godard disait dans Chambre 666 à propos de l’invisible qui est ce qu’on ne voit pas, tout comme l’incroyable, et que le cinéma, c’est montrer l’incroyable, et c’est ce qu'on ne voit pas. Une carte est censée montrer et confirmer une réalité établie, mais ici, la lumière éblouit pour faire disparaître ce contenu, pour l'effacer du champ. Sans ombre, la lumière ne peut que rendre invisible.
En dehors de la grande salle d'exposition (bien qu'à l'intérieur du complexe institutionnelle) que j'imagine vide (ou qui m'oblige à l'imaginer), la vitrine en bois située juste devant les portes devient une maquette fortuite de ce à quoi je suis confiné. Plus tard, un ami emploiera justement le mot “maquette” au sens propre pour en parler, comme s’il n’y avait aucun doute sur le rôle de l’objet : celui d’être l'échelle réduite d’un vide, mais où toute lumière peut pénétrer, et comme toutes les serres, chaque été, s'alourdissent en chaleur. Ce présentoir vide - copie de ceux utilisés sur les marchés d'Afrique de l'Ouest pour vendre des bijoux ou des téléphones - a pour base une planche de couleur noir, où des traces de doigts suggèrent que son contenu a été retiré. Deux scénarios me viennent à l’esprit : tout a été vendu. Ou bien, tout a été volé.Et dans le deuxième cas, son cambrioleur a eu assez de clémence pour faire son coup sans briser le verre, et surtout, pour avoir refermé la petite porte derrière lui. Bien qu’il n’y ait aucune valeur à surveiller, le vigile n’a pas quitté son poste. Sur place, le gardien de musée, aligné avec 100 000 et le complexe du peintre, assis sur son tabouret, observait l’un après l’autre mes déplacements et son téléphone. Dans un autre couloir longeant l'ascenseur principal, une porte était laissée grande ouverte, menant à une pièce où les gardiens déposent leurs affaires. Il y a un réfrigérateur, une cafetière, quelques tables et d'autres objets que je n'ai pas eu le temps de reconnaître. J'ai hésité à demander au gardien si cette porte ouverte faisait partie du reste. Entre-temps, un autre gardien arrivait par l'escalier, il entra dans la pièce pour récupérer ses affaires tout en saluant son collègue. Sur le point de partir, il recule et demande à l'autre gardien : “La porte, on peut la fermer ?”. Le gardien ne lui répondit rien, sur quoi il ajouta ; “Je la ferme, ça rend mieux je trouve.”
Une autre porte, battante et noir, qui appartient à la petite salle de projection au sous-sol de la CINEMATEK, projette, plusieurs dimanches consécutifs et à chaque fois à 17h15, son court-métrage : Groupe Theatral. Le film s’ouvre sur un monochrome blanc, puis le titre, les noms des acteurs, puis sur un portail fermée peint en noir. Les 20 minutes suivantes montrent la vie quotidienne qui s'infiltre dans un cadre statique qui fixe le portail. Parfois, des personnes entrent ou sortent par une plus petite porte de ce même portail. Ils sont en tenue de travail, certains portant des sacs de ciment sur leurs épaules. Ensuite on voit la scène de nuit. Le matin, quelqu'un chantonne hors champ. Plus loin, le portail s'ouvre complètement ou à moitié pour laisser passer une voiture. Elle reste là pour un entretien. Le capot est grand ouvert, face à la caméra, le moteur gronde, bouge, tourne, et là je me demande s'il n'y a pas un lien entre le mot “entretenir” et le mot anglais “entertain” qui signifie “divertir”.
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- Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu'on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont (...)
- “Quand c'est gratuit, on ne se plaint pas", ou peut-importe la manière qu’on le dit.
Julien Jonas