PARLIAMENT 2, WILLIAM GALLAB

SEPTEMBER 8 - OCTOBER 29, 2023

ALMA SARIF

CHAUSSÉE DE FOREST 90, BRUXELLES



English text







Nul besoin d'être l'esprit le plus brillant de sa génération pour supposer à Parliament 2 un prédécesseur naturel : Parliament 1. En effet, Alma Sarif a bien accueilli une exposition intitulée Parliament au cours du printemps 2020. Les pièces exposées étaient des photographies, également de William Gallab, présentées dans la vitrine du lieu. Ces images se composaient d'une majorité de portraits de chouettes et de hiboux, d'au moins un faucon, un aigle et une espèce indéfinie. Bien que ces oiseaux puissent être regroupés dans la catégorie rapaces, le titre de l'exposition provenait du nom anglais donné à un rassemblement de hiboux : a parliament (un parlement).
Pour les plus pervers d'entre-nous, adeptes du journal télévisé de 19h30 lorsque le coronavirus était à son faîte (version RTBF ou VRT), pareil rassemblement pourrait s'apparenter à une salutation venue du passé. L'esprit frappeur du CODECO (comité de concertation – overlegcomité) et ses obscurs cousins dispersés sur le globe. Il est peut-être utile de rappeler qu'en des temps reculés, en 2020, galeries et artist run spaces étaient fermés. D'où les expositions en vitrines.

Nous sommes à présent en septembre de l'année 2023 et le Brussels Gallery Weekend a rassemblé ces propres rapaces pour quatre journées officielles (7.09 – 10.09). L'exposition d'Alma Sarif ne figure pas dans le programme officiel New Exhibitions Contemporary Art. Son vernissage eut cependant lieu au soir du 7 septembre.
William Gallab n'était pas un artiste professionnel et la présence de son travail au cours de ces journées officielles est réjouissante. Ce n'est pas tout. Nous pourrions aussi supposer un lien de parenté entre William Gallab et Monica Gallab. Bien que le site internet d'Alma Sarif ne l'indique plus, Monica Gallab et Joseph Kusendila sont les personnes initiatrices du lieu. Plusieurs exemples de leur discrétion participent à l'exposition et une partie du plaisir pris à sa visite tient dans la discussion possible avec Monica et Joseph.

L'exposition se compose de deux pièces. L'une petite et l'autre encore plus, reliées entre elles par une sorte de court passage. Dans la première pièce, visible depuis la rue, se trouvent cinq photos imprimées au même format : 43,8 x 59,4 cm. Le papier n'est pas coupé au ras de l'image mais laisse une bordure blanche dont la largeur varie. Les photos ne sont pas encadrées mais fixées aux murs à l'aide de ce qui pourrait être du scotch double-face. Une sixième photo aux dimensions identiques patiente dans le coin gauche de « l'encore plus petite pièce ». Elle montre des maisons en terre, d'Afrique du Nord. Dans le coin opposé, en contraste avec l'aridité brune des maisons, un écran plat rejoue l'entièreté d'un match de tennis ayant eu lieu sur le très vert gazon de Wimbledon. Le match, qui se déroula en 2001, est joué par Pete Sampras et un Roger Federer à peine pubère. Un match de 3h41mns qui fut le seul opposant les deux tennismen. On pourrait le qualifier d'historique. 2001 est aussi l'année vers laquelle la photo la plus récente de l'exposition fut prise. La présence de Pete Sampras sur un court de tennis nous rappelle cruellement que 2001 ne date plus tout à fait d'hier. La photo la plus ancienne est de « circa 1975 ». La vidéo n'apparaît pas sur la feuille présentant les travaux exposés. La feuille elle-même est sous verre, accrochée au mur, et ne contient pas de texte supplémentaire si ce n'est la formule cryptique + OL LMC +. L'absence de papier à emmener chez soi est un soulagement.

Dans le court espace faisant transition entre les deux pièces, vous pourrez faire la connaissance d'un évier coincé par deux murs. Un tire-bouchon mural est vissé à l'un de ces murs. Sa présence inattendue tient compagnie au robinet en inox qui surplombe l'évier. Cependant, un regard plus attentif révélera au public qu'il serait difficile d'introduire quelconque bouteille dans le mécanisme sans la briser contre l'évier. Et même si l'opération rencontrait un très improbable succès, il semble que le manche du tire-bouchon se situe trop près du robinet pour que son mouvement de levier puisse achever sa course. Le tire-bouchon ne figure pas sur la liste des œuvres non plus.

Retournons dans la petite pièce aux cinq photographies.
L'une d'entre elles montre des œufs peints se tenant bien droits dans leur coquetiers. Sur l'un des quatre œufs, qui ensemble composent une famille anthropomorphe, un homme est peint. Il est debout, tient une perceuse dans une main et utilise l'autre pour s'appuyer sur une béquille. Il est très tentant d'accuser cet homme du vissage inopérant du tire-bouchon. Les sombres conséquences du bricolage immortalisées sur un œuf en résonance avec un inutile tire-bouchon mural tandis que la petite queue de cheval de Roger Federer se balance pendant 3h41mns. Tout cela ayant lieu au milieu de l'exposition d'un homme qui ne fut pas photographe professionnel. On pourrait y voir un canular d'écoliers ou éprouver de la tristesse (et encore, je n'ai rien dit de la photo floue d'une otarie qui mange un poisson au zoo). L'exposition parvient à éviter pareils écueils. D'ailleurs, les mots « tristesse » ou « canular d'écoliers » ne me sont venus qu'au moment de la description des différents éléments de l'exposition. La façon dont les photos, la vidéo et le tire-bouchon sont agencés infléchissent la tristesse en mélancolie et le canular en humour. Il serait donc également judicieux de reconnaître le travail de Monica Gallab et de Joseph Kusendila. Un singulier parlement tripartite.

Le travail curatorial d'Alma Sarif soulève deux questions : comment aborder le travail d'un artiste qui n'est plus vivant et dont l'intérêt pour le futur de ses photos nous est inconnu ? Que faire des photos de quelqu'un qui se trouve être votre père ?

Apporter les histoires de famille sur la scène de l'art est une affaire risquée. Nous avons certainement tous été embarrassés par un hommage raté ou par le portrait sentimental d'une personne chère à l'auteur. L'embrouillamini familial se met en travers du chemin et sa banalité extrême n'est sublimée que dans l'esprit de l'artiste qui en partage l'image déformée. Dans le cas de Parliament 2 et des photographies de William Gallab, c'est peut-être le prosaïque étrange qui autorise l'évitement notable d'une gêne collective. L'aspect curieux de ces images dans leur banalité repose dans le fait qu'elles ne montrent pas un seul être humain alors même que des activités humaines s'insinuent dans chaque image. Plutôt qu'activités humaines (et parce qu'un mot tel que « parliament » a été utilisé), nous pourrions les nommer éléments d'une société. Une famille-œuf, l'otarie du zoo, des maisons en terre, une Mercedes. Tout comme le « parliament of owls » prêtait une voix humaine silencieuse à des chouettes – ou peut-être était-ce les chouettes qui donnaient gracieusement un peu de leur intelligence à ces pauvres humains ? – Parliament 2 donne une personnalité aux choses. Cela se ferait de la même façon que les souvenirs finissent pas acquérir une sorte de matérialité. Après tout, chaque photo semble avoir été prise soit à la maison, en vacances ou au zoo du coin. Littéralement : quelque chose à se rappeler. Et pourtant, si la date n'était pas indiquée, il serait difficile de situer ces images dans le temps. L'otarie pourrait être n'importe quelle otarie de n'importe quel zoo, les maison en terre semblent suffisamment vieilles pour avoir été photographiées hier ou il y a trente ans. La Mercedes est un modèle commun que l'on continue de voir circuler dans les rues. Quant à l'ovo-peinture, je peux imaginer que des individus s'y sont adonnés depuis la nuit des temps. Tout en faisant partie d'une histoire personnelle, le quelque chose à se rappeler est paradoxalement plus commun et moins daté qu'un match de tennis historique qui a eu lieu il y a seulement 22 ans.

Le quelque chose rappelle la question du comment aborder le travail d'un père qui n'est plus vivant. Peut-être que quelque chose est plus facile à aborder que quelqu'un. C'est en un sens ce que Monica Gallab et Joseph Kusendila font avec Parliament 2. L'héritage symbolique et matériel cohabite dans cette exposition. Les négatifs photos et le tire-bouchon mural sont des matériaux qu'il a fallu interpréter. Les premiers proviennent d'une pratique photographique qui s'étalent au moins entre 1975 et 2001, tandis que le second pourrait sortir tout droit du mur de la cuisine de William Gallab. Bien que seules les photographies soient présentées en tant que travaux de l'exposition, le tire-bouchon et la vidéo y trouvent également une présence légitime.
On pourrait supposer que le format 43,8 x 59,4 cm a été décidé en même temps que le reste de l'exposition. Peut-être même est-ce la première fois que ces photos sont imprimées. L'assemblage de ces éléments pointent dans la direction d'un processus joyeux et l'attention accordée à chaque travail montre un bref moment de liberté. Ce que je nommais plus haut un singulier parlement tripartite est l'antithèse de l'officiel CODECO ou du tout aussi cauchemardesque Brussels Gallery Weekend. Le parlement mis en scène par Alma Sarif ne rassemble pas d'experts. Sa politique ne provient pas du suffrage universel. Ses membres sont jeunes et vieux, morts et vivants.



Cyriaque Villemaux