BOZAR
October 12, 2024 - January 5, 2025
English text
Beaucoup d’œuvres sur l’amour.
Une impression étrange : comme si je parcourais en 3D le résultat d’une recherche internet sur art contemporain amour. Pourtant, à la décharge de Bozar, une telle recherche n’aboutirait jamais à une sélection aussi pointue, aussi qualitative.
Mais tout de même, il y en a beaucoup.
Je déambule dans les salles, explorant l’exposition comme on swipe sur Tinder, à la recherche de mes matchs. Peut-être est-ce l’effet de la quantité : cette surabondance ne m’invite pas à ralentir, à m’attarder. Je ressens des attirances, fugaces. Puis, soudain, un coup de foudre.
[Est-ce que le fait d’avoir un coup foudre indique que l’exposition est un succès? Je ne suis pas sûre. Je n’ai pas l’impression d’avoir pu - n’y eu l’envie - de donner une chance à toutes les oeuvres. Vu l’abondance je suis allée vers ce que j’aime (déjà?) et le but d’une expo sur l’amour n’est peut-être pas d’encourager la fidélité]
Retour à mon grand amour.
VALIE EXPORT, HAUCHTEXT : LIEBESGEDICHT (Poème d’amour), 1970
Une vidéo de 2 minutes 24. L’artiste me fait face. Gros plan : son buste se penche, elle souffle sur une plaque de verre, qui fusionne avec l’écran d’une télévision (modèle ancien). Valie Export ne croise pas mon regard. Elle est absorbée. Elle écrit des mots d’amour (Ich Liebe Dich?) avec son souffle sur la vitre.
Mais ce n’est pas un souffle léger, superficiel. Pas un souffle qui naît dans la bouche. C’est un souffle profond qui part des entrailles, et peut-être de plus loin encore. Un souffle qui demande des pauses, pour reprendre son souffle, pour humecter ses lèvres. Un souffle qui mobilise tout le corps, transformant la bouche en un orifice parfaitement rond. Au fur et à mesure de cette écriture exhalée, le buste se penche, le regard se perd, les yeux louchent, parfois. Le son, dans ce qu’il a d’épuisement et de souffrance, est sexuel. Excitant.
Une communication sensorielle, portée par cette vidéo en noir et blanc. De chaque cellule de Valie Export émane le désir, et mes cellules désirent ce désir. Une part intime s'élance hors de moi dans ce souffle chaud. Mon cerveau vacille, conquis par cette corporalité. Pas dans une opposition pensée/bestialité, mais dans une union organique : comme si le sang affluait, amollissant les contours de mon esprit, le rendant plus souple, plus sensible. Plus vivant.
Qu’une vidéo puisse me faire un tel effet m’interroge. Je pense que le son y est pour beaucoup. L’écoutant avec un casque, je suis isolée avec mes sensations comme dans la cabine d’un Eros Center germanique. Le désir amoureux est-il lié à une forme de prostitution ? de don de soi? de voyeurisme?
Mais est-ce que cette déclaration est nécessairement d’ordre amoureux? Cyriaque Villemaux me fait remarquer que le souffle peut aussi rappeler celui de l’accouchement. C’est intéressant cette idée du corps qui accouche de l’amour à travers le souffle, la bouche et non par les mots.
Un autre point de vue sur la corporalité. Où le regard ne se porte pas sur l’autre, ou sur la rencontre des corps mais sur des sensations personnelles et intimes. Quand l’amour fait remonter nos tréfonds.