AYELET TSABARI A PERDU SA VOIX

LUCY GRAUMAN





English text








Ayelet Tsabari a perdu sa voix.

Ayelet Tsabari est une écrivaine israélienne d’origine yéménite.

Elle a perdu sa voix il y a quelques mois, alors qu’elle enregistrait une version audio de son dernier roman.
Plus un son, juste un souffle sans timbre.

Le roman, c’est l’histoire d’une femme, qui à partir des chansons chantées autrefois par sa mère, va à la découverte du monde des femmes yéménites d’hier. Ce monde où les femmes sont illettrées et vivent proches les unes des autres

Pour écrire ce roman, Ayelet a suivi des cours de chant avec une chanteuse d’origine yéménite, comme elle. Elle apprend que dans la société yéménite le chant des hommes et celui des femmes n’est pas le même. Alors que les hommes chantent en hébreu leur dévotion, les femmes chantent en arabe des histoires d’amour, de jalousie, de tristesse, de désir.
Elles chantent entre elles pour partager leurs joies et leurs tristesses, dans un monde où elles sont, par ailleurs, plutôt silencieuses.

Au cours de l’écriture de son roman Ayelet manifeste contre les réformes du gouvernement de Netanyahou, elle rejoint les activistes contre l’occupation.
Elle éprouve l’ivresse de faire partie de cette foule qui chante. Elle y amène sa propre fille pour qu’elle apprenne à donner de la voix et à ne pas avoir peur de se faire entendre.

Elle se demande si la perte de sa propre voix n’est pas causée par son impuissance face au discours public. Le simple fait de prôner la paix ou d’exprimer de l’empathie est perçu comme polémique.
Elle garde en elle la photo bouleversante d’une femme de Khan Younis, la bouche ouverte tournée vers le ciel dans un cri silencieux.

Par l’écriture, Ayelet utilise sa voix pour amplifier les voix tues des femmes d’origine yéménite, en retraçant les injustices et les préjugés qu’elles ont rencontré en Israël.
Elle tente aussi de raconter une histoire plus grande, qui concerne toutes les personnes vivant entre la rivière et la mer. Les effets dévastateurs de la Nakba et de l’occupation sont un fil à travers tout le roman. Ayelet dit : aussi petit, aussi insignifiant que cela puisse paraître, n’est-ce pas le rôle de l’écrivain, d’écrire à partir d’un lieu d’empathie, d’authenticité, de courage, et d’offrir une fente de lumière sur ce que ça peut vouloir dire d’être un humain ?

Dans le roman, Zohara, le personnage féminin se soigne avec le chant. D’abord seule, ensuite dans un groupe.

Ayelet, a retrouvé sa voix et chante dans une chorale dans son quartier, une chorale amateur où toute femme est bienvenue. Un groupe de femmes qui partagent, pour la plupart, les mêmes idées, qui chantent et parlent de ce qu’elles pensent, de ce qu’elles ont sur le cœur et de leurs peurs.

Dans le roman une vieille femme que Zohara rencontre lui dit : nous ne parlions pas, alors nous chantions. 


Le roman s’appelle “Songs for the Brokenhearted” il vient de paraître en anglais.


Texte basé sur un article paru dans le Globe and Mail (Canada) du 7 septembre 2024.


J’avais prévu de lire ce texte en préambule à un concert de ma chorale “Voix de Voyageurs”, en septembre. La chorale d’Ayelet me faisait penser à notre chorale, spécialement l’aspect humain.
J’ai attrapé un virus, une sorte de grippe et j’ai totalement perdu ma voix le jour du concert.
Ce texte sur la perte de voix, sur les voix de femmes et sur leur silence s’est incarné dans mon propre corps comme un mauvais tour joué par un dieu moqueur.








Lucy Grauman